Depuis maintenant 30 ans, le mois de mai est devenu le Mois international de la masturbation. Mais pourquoi parle-t-on d'onanisme et pourquoi la pratique fut-elle stigmatisée au XVIIIe siècle ? Zézette vous dit tout...
En 1997, le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot publiait son Eloge de la masturbation. Un essai pionnier (et bien branlé) qui n’a pas pris une ride. Pour preuve, il a été republié l’an dernier. Zézette a voulu en savoir plus.
Qu’est-ce que l’onanisme ? Quelle est la légende qui a accouché de ce mot ?
Philippe Brenot : Pour commencer, il faut avoir en tête que la masturbation n’a jamais été condamnée, ni par la bible ni par la loi. Et que jusqu’au XVIIIe siècle, c’est une pratique totalement libre. Ce qui va tout changer, c’est la découverte des spermatozoïdes grâce au microscope. Dès lors, ceux que l’on appelle les spermatistes vont défendre l’idée que les spermatozoïdes sont à l’origine de l’humanité car ils renferment des êtres miniatures – mâles ou femelles - qu’il s’agit de protéger. Par la perte du sperme, ils assimilent ainsi la masturbation à un génocide et considèrent qu’elle met l’humanité en péril. En 1710, à Londres, est publiée une brochure anonyme attribuée à un certain docteur Bekkers, plus guérisseur que médecin. Il s’agit d’Onania ou le péché infâme de la souillure de soi et toutes ses conséquences affreuses chez les deux sexes. Il y est fait référence au mythe d’Onan, tiré de la Bible. Onan appartient à la tribu de Juda. Il a un frère aîné, Er. A la mort de ce dernier, provoquée par Dieu, Onan doit se plier à la loi du lévirat qui veut que lorsqu’un aîné décède, le cadet doit s’accoupler avec sa belle-sœur afin d’assurer une descendance au défunt. Seulement, au dernier moment, Onan va se retirer refusant que son enfant soit celui de son frère. Ceci va déplaire à Dieu qui le tue à son tour. C’est ce que l’on appelle « le crime d’Onan » qui va donner son nom à l’onanisme et ce bien qu’il ne s’agisse pas d’une masturbation mais d’un coït interrompu. Le point commun, c’est la perte de la semence.
On assiste donc à la naissance d’un nouveau contrôle social…
Oui. D’autant qu’à l’époque on assiste à l’émergence de l’individu en tant que sujet. Jusque-là, les individus sont très assujettis au groupe, à la famille. Ce changement dérange et l’interdit de la masturbation va permettre de contrôler l’autonomie naissante de la jeunesse. En Suisse, le pasteur calviniste Dutoit-Membrini et le célèbre docteur Tissot vont initier un complot médico-religieux qui perdurera pendant deux siècles. Le premier publie une condamnation morale de la masturbation tandis que le second est l’auteur du fameux Essai sur les maladies produites par la masturbation. L’argumentaire médical fourni par Tissot prétend que la masturbation procure de graves maladies et qu’on en meurt. Bien qu’affabulateur, cet argumentaire instaure un nouveau conditionnement moral. Il fait de la répression de la masturbation un principe d’éducation qui va se diffuser à travers le catholicisme dans toute l’Europe.
Aujourd’hui, selon l’étude Sexreport de 2023, seuls 12 % des hommes disent ne pas se masturber contre un tiers des femmes. Comment l’expliquez-vous ?
La masturbation féminine est beaucoup plus compliquée d’accès que la masturbation masculine. Pratiquement tous les hommes, soit 90%, se sont au moins masturbés quelques fois ou se masturbent régulièrement, sauf inhibitions psychologiques ou interdits socio-religieux. Là où la masturbation masculine est extrêmement stéréotypée, avec la main qui joue le rôle du vagin, la masturbation féminine est quant à elle beaucoup plus diverse et bien plus personnelle. J’ai accompagné plus de 3 000 patient.e.s dans leur sexualité et je constate que plus de la moitié des femmes pratiquent peu la masturbation et que la masturbation régulière n’excède pas 30 % des femmes. Or on sait combien les femmes en difficultés sexuelle ont très peu ou pas du tout de pratique autoérotique.
Quel rôle joue la masturbation dans notre vie sexuelle ?
Alors qu’une part des psychanalystes continue de diffuser l’idée qu’elle est un signe d’immaturité, ce que l’on sait aujourd’hui inexact, il est important de permettre de comprendre, surtout pour les femmes, que la masturbation est au centre de la sexualité. Elle sert à apprivoiser ses propres réactions sexuelles, à construire la région génitale et à favoriser la maturité érotique. Mais ça personne n’en parle car la masturbation est le dernier tabou de la morale sexuelle occidentale. On ne sait pas à quel point la masturbation est vitale pour l’épanouissement sexuel. Car, c’est une donnée aujourd’hui bien établie, il n’y a pas, chez l’humain, d’instinct sexuel. C’est par la répétition des cycles sexuels qu’on construit progressivement notre réceptivité et notre sensualité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la masturbation ne tarit pas le désir, elle l’entretient tout au long de la vie.
C’est une forme d’entraînement…
Oui. La sexualité se fait par apprentissage. Il faut voir la sexualité un peu comme le langage. Cela me fait penser au film L’enfant sauvage de François Truffaut qui raconte l’histoire au XVIIIe siècle d’un enfant élevé par les animaux dans la forêt. Lorsqu’à 12 ans on cherche à lui enseigner le langage, il est trop tard. Le cerveau s’est myélinisé. C’est pareil avec la sexualité. Dans mon étude de 2012 effectuée auprès de 3 400 femmes, j’ai identifié 40 femmes qui avaient des orgasmes extrêmement facilement. La différence avec les autres femmes de l’étude est qu’elles avaient un âge de premier orgasme très précoce, en moyenne 10 ans, parce qu’elles se masturbaient depuis très tôt et très régulièrement.
Ne pas se masturber c’est donc risquer d’être un analphabète de la langue sexuelle…
Absolument ! Contrairement à la pulsion masculine, la sexualité féminine nécessite plus de conditions pour s’épanouir. Et les sextoys ont été d’un apport considérable pour l’épanouissement féminin. Toutes les enquêtes le montrent, plus de la moitié des femmes n’ont jamais eu d’orgasme profond, c’est-à-dire d’orgasme vaginal. Le sextoy leur permet la découverte orgasmique et d’évoluer dans une sexualité alliée à celle du ou de la partenaire.
Votre « Éloge de la masturbation » a bientôt 30 ans. Pourquoi avoir ressenti le besoin de l’écrire à l’époque et qu’est-ce qui a changé depuis ?
Quand j’ai écrit cet éloge en 1997, il n’y avait strictement rien sur le sujet. On n’en parlait pas. Si plus de femmes pratiquent la masturbation aujourd’hui et osent le dire, il n’y pas eu de révolution pour autant alors que la masturbation est indispensable à notre équilibre sexuel et donc personnel. En matière de sexualité, et tout particulièrement en ce qui concerne la masturbation, il n’y a qu’une règle : ne rien s’obliger mais surtout ne rien s’interdire ! La masturbation augmente le désir, ce qui est très difficile à comprendre. En définitive, il manque à notre société une éducation à la sexualité qui n’existe toujours pas.
A ce titre, vous affirmez que « comme tout ce qui est du sexuel, si on n’en parle pas, c’est en vertu de son prétendu caractère naturel. Et c’est encore pour cette raison qu’il n’y a pas ou si peu d’éducation à la sexualité, car pourquoi apprendre ce qui est naturel ». Pour résumer, si la sexualité est dans toutes les têtes, elle a encore du mal à se frayer un chemin vers les bouches…
Le plus souvent, l’éducation à la sexualité se concentre sur les dangers mais n’aborde presque jamais le plaisir. Je conçois que ce soit difficile chez les ados. Raison pour laquelle il faudrait faire de l’éducation à la sexualité une matière à part entière dispensée par des professionnels n’ayant pas de relation d’autorité avec les élèves. Cela enlèverait une charge oedipienne aux profs qui sont vus comme des substituts parentaux.
Vous citez l’écrivain Michel Tournier qui comme vous fait l’éloge de la masturbation dans Les Météores. Il écrit ceci : « Le cerveau fournit au sexe un objet imaginaire. Cet objet, il convient à la main de l’incarner. La main est le partenaire idéal. Elle joue à volonté le rôle qu’on lui assigne et son chef-d’œuvre est la masturbation. Là, elle se fait à volonté pénis ou vagin ». Fournier fait de la masturbation un raffinement là où d’autres en ont fait une abomination. La morale sexuelle a-t-elle évolué ?
Nous sommes dans un des pays parmi les plus libres au niveau de la morale sexuelle. Le problème, c’est plutôt le manque d’accompagnement de la sexualité car elle nécessite un apprentissage puisqu’elle n’est pas instinctive. On pense que la sexualité va de soi alors que c’est tout le contraire. Il y a 4 millions d’années, lorsque nous étions encore des grands singes, la sexualité dépendait d’une programmation hormonale. Tout le monde s’accouplait de manière automatique. La transmission se faisait alors en regardant les autres, car dans le monde animal on s’accouple au vu et au su de tous. Or, du fait de la pudeur propre au genre humain, le concept de modèle a disparu. Chez les humains, la sexualité se pratique en aparté et s’est donc totalement coupée des modèles alors qu’elle repose entièrement sur l’apprentissage. Le seul modèle que nous ayons aujourd’hui, c’est le porno. Ce qui bien sûr n’est pas suffisant.
Pour finir, diriez-vous que la masturbation est le meilleur des soins que l’on puisse se prodiguer ?
Il n’y a pas de doute là-dessus !
Infos pratiques : Eloge de la masturbation. Philippe Brenot. Ed. La Musardine. 15 €. Plus d’infos sur lamusardine.com
Il fallait y penser. Alors que le catalogue des sextoys, et donc des plaisirs, s’avère tout aussi pléthorique (et érotique) que méconnu, une jeune entrepreneuse, Olivia Mineti, entend lancer un système de location de sextoys reconditionnés pour favoriser l’accès à la découverte du plaisir sans épuiser les ressources de la planète et de nos comptes en banque.
Comment vous est venue l’idée de la Banane enchantée ?
Olivia Mineti : C’est partie de l’envie de tester de nouveaux sextoys avec mon conjoint mais sans avoir à y consacrer un trop gros budget. D’où l’idée d’un système de location pour pouvoir expérimenter des sextoys durant trois mois en souscrivant un abonnement. La location permet d’explorer l’énorme catalogue de sextoys existants et donc de s’initier à différents plaisirs ainsi qu’à de nouvelles sensations, et ceci sans que cela coûte trop cher et sans transformer ses tiroirs en sexshop à force d’accumuler les jouets intimes qu’on finit par délaisser. Nous pensons que l’économie de l’usage, qui s’oppose à la surconsommation, a toute sa place dans le domaine du plaisir.
C’est votre manière de lier plaisir et écologie ?
Oui. D’autant que l’objectif est de louer des sextoys reconditionnés. Nous avons découvert qu’il existait déjà une entreprise, Rejouis, positionnée sur ce créneau et qui en proposait à la vente. Cela prouve qu’il existe un marché. D’autre part, notre volonté est de ne travailler qu’avec des sextoys fabriqués en France et en Europe pour avoir des produits 100 % sûrs.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Nous en sommes à la phase d’étude. Nous avons mis en ligne un questionnaire afin de recueillir les attentes, les avis et les freins des potentiel.le.s futur.e.s utilisateur.rice.s.
Quels sont les principaux freins qui s’expriment ?
Le frein principal est l’hygiène. C’est celui sur lequel nous allons le plus travailler. Le fait qu’avec Rejouis il existe déjà une entreprise sur ce secteur montre que c’est faisable. Nous sommes en discussion avec des entreprises spécialisées et des laboratoires pour garantir une hygiène irréprochable et des sextoys qui seront, cliniquement parlant, encore plus propres que ceux que vous pouvez acheter dans le commerce.
Il doit exister également un frein psychologique…
Oui. Mais là encore, le fait qu’une entreprise comme Rejouis soit parvenue à constituer une clientèle est la démonstration que même les freins psychologiques peuvent être levés.
Aujourd’hui, on discerne mieux les freins que les avantages…
C’est une certitude. D’ailleurs, lorsqu’on étudie le marché des sextoys, on ne s’attend pas à ce que l’offre soit aussi pléthorique. Il y a plein de choses que je n’avais même pas imaginées. L’idée est donc de guider au mieux nos abonné.e.s dans leurs découvertes en tenant compte à la fois de leurs envies et de leurs freins. Sachant qu’aujourd’hui, seule une personne sur deux en France a déjà utilisé un sextoy. Et tester ne signifie pas qu’elles ont aimé...
Prévoyez-vous de réaliser des tutos ?
C’est quelque chose que nous pourrions envisager à l’avenir, de même que permettre de partager son expérience tout en veillant bien sûr à respecter l’anonymat.
Combien de questionnaires avez-vous déjà recueillis ?
70 personnes ont répondu jusqu’à présent et notre objectif est d’atteindre le nombre de 150 pour ensuite pouvoir se lancer.
Infos pratiques : si vous voulez participer à l’étude de la Banane enchantée et répondre au questionnaire, rendez-vous sur labananeenchantee.fr
Tout simplement (attention scoop…) parce qu’en 2025, il n’existe toujours pas de média consacré à la sexualité, et ce bien qu’il s’agisse de l’un des rares sujets au monde qui nous concerne tous. On trouve pourtant des journaux sur à peu près tout. Les camping-caristes ont ainsi leur magazine, Camping-car Magazine, depuis 1978, et les mostrophilistes (c’est comme cela que se font appeler les collectionneurs de montres) peuvent feuilleter Montres magazine depuis près de 30 ans.
Même si le sujet s’est fait une place dans les médias ces dernières années et que des voix de plus en en plus nombreuses se font entendre, la sexualité reste désespérément vierge de toute publication (en dehors des seules revues médicales qui lui sont consacrées...).
Puisque, dixit Oscar Wilde, « tout dans le monde est une question de sexe, sauf le sexe qui est une question de pouvoir », l'enjeu est de parvenir à parler sexualité sans honte comme de n’importe quel autre sujet. Car il s’agit bien d’explorer toutes ses facettes, notamment pour décortiquer les rapports de domination entre hommes et femmes.
C'est la raison d'être de Zézette, 1er média indépendant 100 % dédié à la sexualité avec pour but d’en faire un sujet de conversation que l’on ne se sent plus gêné d’aborder. Le principe : une newsletter envoyée au moins deux dimanches par mois, et plus si affinités…
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