Un jour on divorce, on se retrouve dans un appartement au-dessus de 2 sexshops, on fait le constat que le concept laisse peu de place à l'érotisme, on se dit qu'il manque un truc et 20 ans après on est à la tête de la première enseigne de love stores au monde. Cette histoire, c'est celle de Patrick Pruvot, fondateur de l'enseigne Passage du désir.
Parce que les sexshops sont pensés par les hommes pour les hommes, Patrick Pruvot a eu l’idée d’un nouveau concept il y a 20 ans, le love store, qui s’adresse aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Il en a expliqué les fondements à Zézette.
Comment se retrouve-t-on à la tête d'une chaîne de sexshops sans avoir de réputation sulfureuse ?
Patrick Pruvot : Il ne s’agit pas de sexshops. Je refuse cette appellation. Le terme de boutique érotique ne convient pas non plus car dans l’imaginaire des Français il est amalgamé à la pornographie. Si on écrit boutique érotique sur la vitrine, on va nous demander immédiatement où sont les cabines de visionnage. Je n’ai rien contre la pornographie mais ce n’est pas mon métier. C’est pourquoi au lancement de Passage du désir nous avons déposé la marque love store, reprise depuis par tous les sexshops de Pigalle. Le but était de se construire comme étant l’antithèse du sexshop, concept très masculin fait par les hommes pour les hommes. Raison pour laquelle d’ailleurs le chiffre d’affaires des sexshops repose essentiellement sur la pornographie. Il s’agissait donc de scinder l’érotisme et le porno car les femmes ne vont pas ou peu dans les sexshops alors qu’elles sont souvent le moteur de l’érotisme dans leurs relations. La pornographie, c’est surtout le commerce de la frustration sexuelle. L’érotisme, au contraire, permet de faire vivre la sexualité du couple pour qu’elle ne rentre pas dans la routine. Quand on a commencé, il n’y avait pas de boutiques qui vendaient des huiles de massage sensuelles. Pourtant, cela n’a pas à être caché derrière un rideau. Chez Passage du désir, on parle de sexe comme faisant partie de l’amour. On s’adresse donc aussi bien aux femmes qu’aux hommes.
Comment tout a commencé ?
Tout a commencé par un divorce parce que je n’ai pas bien entretenu le développement durable de mon couple. Le seul appartement que j’ai pu trouver rapidement à l’époque était situé au-dessus de deux sexshops rue Saint-Denis à Paris. En discutant avec leurs propriétaires, au demeurant très sympathiques, j’ai pu me rendre compte que je ne partageais pas leur univers. En parallèle, on assistait à l’émergence de séries comme Sex and the city qui vulgarisaient l’usage des sex-toys. Si la demande existait, l’offre, elle, n’existait pas. Et c’est encore le cas. Nous n’avons que 23 boutiques à l’heure actuelle. Cela reste un secteur balbutiant en France par rapport à d’autres pays. En Angleterre, la chaîne Ann Summers compte plus de 200 magasins dont un sur Oxford Street à Londres. Et en Allemagne, Orion totalise 135 implantations. En France, le législateur a vraiment pénalisé les sexshops pour les marginaliser en leur imposant des taux de TVA à 33 %. D’une certaine manière, la loi française a ghettoïsé plus qu'ailleurs la sexualité.
Pourquoi vous êtes-vous lancé ?
J’étais dans la pub et j’en avais marre. Je me suis dit qu’il y avait une opportunité de proposer autre chose pour toucher la cible de monsieur et madame Tout-le-Monde. Se masser ou utiliser un sex-toy, ce n’est quand même pas un truc de pervers qui nécessite d’être caché. Une boutique de produits érotiques doit avoir sa place entre H&M et Sephora dans une rue normale.
La manière dont on en parle s’avère donc cruciale…
C’est pourquoi la première personne que j’ai embauchée, ce n’est pas une vendeuse mais une attachée de presse car c’est avant tout un sujet de communication. Il fallait trouver la façon de raconter une autre histoire pour sortir ces produits du ghetto et les vendre comme des produits normaux. Nous nous sommes concentrés sur l'harmonie du couple, qu’il s’agisse d’un couple d’un soir ou d’un couple d’une vie. Car quand on a démarré, les sex-toys avaient la réputation d’être réservés aux célibataires qui ne trouvent pas de mecs. De l’économie de la frustration, on est passé à l’économie de l'épanouissement. On a repositionné l’offre autour de quelque chose de plus intéressant. Il était essentiel que les gens puissent se dire qu’il n’y a pas de problème à utiliser des produits pour leur bien-être sexuel. Et plutôt que de ne parler que de plaisir, on s’est concentré sur la finalité de l’érotisme qui consiste à nouer de bonnes relations, à deux ou à plusieurs, peu importe. Le plaisir va créer de l’attachement. C’est plus intéressant et plus acceptable dans un pays d’obédience catholique.
Comment avez-vous fait pour convaincre les investisseurs ?
Au départ, en 2004, tout le monde a refusé le concept. Personne ne voulait investir dans ce qui était considéré comme un sexshop. Pendant deux ans, j’ai mangé des pâtes en espérant qu’il se passe quelque chose. Et puis je suis allé voir un ancien client, en l'occurrence les Galeries Lafayette Haussmann à Paris. Sur un coup de poker je leur ai proposé d’ouvrir un stand. Ils ont accepté. En théorie, c’est une consécration pour une marque. Cela s’est avéré être un carton. Nous avons eu beaucoup de presse. Du coup, ça a décontracté les banquiers et les bailleurs et on a pu ouvrir la première boutique rue Saint-Martin à Paris en 2007. Elle a tout de suite eu un grand succès. On en a donc ouvert très vite une deuxième puis une troisième à Paris avant de s’installer à Lille.
Touche-t-on aussi facilement les hommes que les femmes ?
Il est certain qu’il est plus facile de toucher les hommes avec la pornographie qu’avec l’érotisme. Contrairement aux femmes, le tabou demeure chez les hommes autour de l’usage des sex-toys.
Ceci semble paradoxal, la masturbation féminine ayant longtemps été un tabou à l’inverse de la masturbation masculine…
Il y a encore l’idée pour un homme que l’utilsation d’un sex-toy est soit un aveu d’échec social, soit la preuve d’une homosexualité refoulée lorsqu’il s’agit de sex-toys prostatiques. Vous pouvez offrir un Womanizer à votre femme mais si elle vous offre un masturbateur, ce n’est pas sûr que vous le preniez bien. C’est pourquoi nous avons lancé une marque destinée aux hommes que nous avons appelée Hector. Elle reprend les codes de la cosmétique masculine et vise à “détabouiser” le sujet. Même si elle marche très bien, il y a encore du travail… Pour 10 sex-toys pour femme vendus, nous vendons un sex-toy pour homme. La marge de progression est immense. Et cela passe par le discours. Il faut déconstruire les codes du patriarcat car l’homme se sent encore fragilisé par l'utilisation d’un sex-toy. Alors que la femme, elle, explore son corps. Aujourd’hui, nous recevons 60 % de femmes et 40 % d’hommes. Toutefois, ils achètent beaucoup plus pour leur compagne que pour eux. L’usage des sex-toys masculins reste un tabou. Mais cela change. Les jeunes de moins de trente ans sont beaucoup plus ouverts, notamment en ce qui concerne le plaisir prostatique, encore très assimilé à l’homosexualité chez les plus âgés.
Selon le psychiatre et anthropologue Philippe Brenot, la sexualité se fait par apprentissage. Or les sextoys permettent de s’initier à différents plaisirs ainsi qu’à de nouvelles sensations. Les sex-toys sont-ils une façon de compenser la quasi absence d'éducation à la sexualité ?
Je ne sais pas si j’irai jusque-là mais oui, ils font partie de l’éducation à la sexualité. Ce sont des travaux pratiques. Le fait qu’ils soient devenus design, jolis et technologiques a facilité leur appropriation. Beaucoup de femmes disent qu’elles explorent leur plaisir avec un sex-toy et qu'ensuite elles peuvent plus facilement en parler avec leur partenaire. C’est moins vrai chez les hommes mais il n’y a pas de raison que cela ne change pas.
Outre le Womanizer, qui est l'un des sextoys les plus vendus au monde, quels sont les sextoys moins connus que vous souhaiteriez faire découvrir aux lecteurs et lectrices de Zézette ?
Pour les femmes, les rabbits sont des valeurs sûres. Le Bali est le rabbit star avec le Oki. Chez les hommes, j’ai longtemps pensé que la main était le meilleur sex-toy. C’est en train de changer. Nous avons des produits à effet de succion qui sont vraiment intéressants. Nous proposons également des produits d’initiation au plaisir prostatique, notamment un masseur de prostate par télécommande qui est notre best-seller. Je conseille enfin notre calendrier de l’avent qui propose tous types produits et pas seulement des sex-toys. Cela permet de tester des choses auxquelles on n’aurait pas pensé spontanément et ainsi de sortir des autoroutes du plaisir.
Vous aurez bientôt 20 ans. Quel est votre souhait pour les 20 prochaines années ?
Le concept de Passage du désir reste unique au monde. D’autres enseignes se présentent également comme des love stores mais elles vendent beaucoup de lingerie. Nous allons donc exporter la marque à l’étranger à commencer par Bruxelles. La France est réputée pour sa gastronomie. Mais la French Touch représente également un atout lorsqu’on parle d’amour. Et là, tout reste à faire alors qu’aujourd’hui le marché des produits érotiques est dominé par les Hollandais.
Plus d’infos sur passagedudesir.fr
Propos recueillis par Renaud CHARLES
Il est spécialiste de l’histoire culturelle des couleurs et des représentations du genre, et de la couleur rose en particulier. Le chercheur, artiste, enseignant et auteur Rose K. Bideaux se pose la question : Et si rendre visible le cancer du sein avec Octobre rose, c’était aussi l’édulcorer ? Une réflexion richement documentée à lire dans le Publictionnaire.
Tout simplement (attention scoop…) parce qu’en 2025, il n’existe toujours pas de média consacré à la sexualité, et ce bien qu’il s’agisse de l’un des rares sujets au monde qui nous concerne tous. On trouve pourtant des journaux sur à peu près tout. Les camping-caristes ont ainsi leur magazine, Camping-car Magazine, depuis 1978, et les mostrophilistes (c’est comme cela que se font appeler les collectionneurs de montres) peuvent feuilleter Montres magazine depuis près de 30 ans.
Même si le sujet s’est fait une place dans les médias ces dernières années et que des voix de plus en en plus nombreuses se font entendre, la sexualité reste désespérément vierge de toute publication (en dehors des seules revues médicales qui lui sont consacrées...).
Puisque, dixit Oscar Wilde, « tout dans le monde est une question de sexe, sauf le sexe qui est une question de pouvoir », l'enjeu est de parvenir à parler sexualité sans honte comme de n’importe quel autre sujet. Car il s’agit bien d’explorer toutes ses facettes, notamment pour décortiquer les rapports de domination entre hommes et femmes.
C'est la raison d'être de Zézette, 1er média indépendant 100 % dédié à la sexualité avec pour but d’en faire un sujet de conversation que l’on ne se sent plus gêné d’aborder. Le principe : une newsletter envoyée au moins deux dimanches par mois, et plus si affinités…
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