La bisexualité : pourquoi est-elle si incomprise ?

Choisir c'est renoncer nous dit l'adage. Ce que justement n'entendent pas faire les bisexuels.elles, suscitant préjugés et incompréhension. Zézette a voulu comprendre pourquoi.

“L'idée reçue selon laquelle la bisexualité serait une homosexualité non assumée ou refoulée est tenace”

C’était il y a déjà 20 ans. En 2005, le journaliste Pierre Des Esseintes consacrait un ouvrage à la bisexualité afin de “détabouiser” le sujet. Si les mentalités ont évolué, les stéréotypes et les malentendus restent encore nombreux.

Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire Osez la bisexualité ?

Pierre Des Esseintes : C’était en 2005. J’étais à l’époque rédacteur en chef d’Interconnexion, un magazine consacré au libertinage. J’ai abordé la bisexualité sous cet angle. Dans le milieu échangiste, que je fréquentais assidûment à l’époque, on considérait que les femmes étaient toutes « naturellement » bisexuelles, contrairement aux hommes. Dans ce microcosme, les échanges de caresses entre femmes sont extrêmement valorisés et constituent souvent un prélude à d’autres jeux avec des partenaires masculins. Je me suis demandé pourquoi la bisexualité féminine se vivait si souvent sur le mode du jeu tandis que les interactions entre partenaires masculins apparaissaient comme plus problématiques. Cela m’a amené à me questionner sur ce qui détermine l’orientation sexuelle d’un individu. Est-ce un choix ? Cette orientation relève-t-elle de la nature ? Est-ce socio-culturel, comme l’affirment les queer studies  ? Voilà les quelques interrogations auxquelles j’ai essayé de répondre dans ce petit guide qui a fait l’objet d’une deuxième édition en 2019. Il faut dire que les mœurs et les représentations évoluent vite. Quand j’ai écrit ce livre en 2005 on parlait encore assez peu d’identités de genre, et les sexualités étaient moins catégorisées. Aujourd’hui, entre les gender fluid, les non binaires, les polyamoureux.euses et les pansexuels.elles, la sexualité s’est considérablement complexifiée !

Selon vous, comment la société perçoit-elle la bisexualité aujourd’hui et quels sont les principaux défis rencontrés par les personnes bisexuelles ?

Vingt ans après la première édition de mon livre, je peux affirmer que les mentalités ont évolué. Dans les séries télé, les jeux vidéo ou les films, les personnages bisexuels sont de plus en plus nombreux. Selon une étude d’avril 2025 de l’Institut national d’études démographiques, la bisexualité est aujourd’hui l’orientation non hétéro la plus fréquemment revendiquée chez les jeunes. Entre 2015 et 2023, la proportion de femmes âgées de 20 à 29 ans qui ne se disent pas hétérosexuelles a été multipliée par 5 et celle des hommes de la même tranche d’âge par 4. Malgré ces évolutions, les idées reçues restent bien ancrées. On associe souvent bisexualité et refoulement de l’homosexualité. Les hommes bi sont encore perçus comme gays qui n’assument pas. La bisexualité est plus visible, pas forcément mieux comprise. Les principaux défis rencontrés par les bisexuels.elles sont l’effacement, le manque de reconnaissance et la difficulté à se reconnaître dans une communauté. Ils et elles sont également soupçonné.e.s d’être instables, infidèles, toujours « à moitié ailleurs ». C’est pour cela, sans doute, qu’ils et elles sont plus sujets.ettes à l’anxiété, à la dépression et aux pensées suicidaires que les hétéros et les gays/lesbiennes.

Dans votre ouvrage, vous abordez la notion de fluidité sexuelle. Pouvez-vous expliquer ce concept et en quoi il diffère d’autres orientations sexuelles ?

La fluidité sexuelle, c’est lorsque l’orientation d'une personne est susceptible d’évoluer au fil du temps, en fonction des expériences et des rencontres. Par exemple, une femme qui s'est toujours considérée comme hétérosexuelle peut, un jour, ressentir une attirance romantique ou sexuelle pour une autre femme. Cette fluidité nous montre que le désir peut se réinventer tout au long de la vie.

Quels sont, selon vous, les stéréotypes ou malentendus les plus courants autour de la bisexualité ?

Ils sont encore nombreux ! D’abord, on associe la bisexualité à l’hypersexualité ou à l'infidélité. Ensuite, la bisexualité constituerait une transition vers une orientation homosexuelle ou hétérosexuelle. Enfin, le fait d’être attiré par les deux sexes serait un signe de confusion. Les bisexuels.elles sont souvent considéré.e.s comme à moitié homosexuels.elles et à moitié hétérosexuels.elles. Or, la bisexualité ne signifie pas être attiré.e à 50/50 par les hommes et les femmes. L’attraction n’est pas non plus constante. Elle peut varier d’une personne à l’autre ou dans le temps. Être bisexuel.elle, c’est d’abord vivre la sexualité et l’amour dans la singularité des rencontres. Les conséquences de ces stéréotypes sont une double discrimination. Les bi font face à des préjugés aussi bien de la part des hétérosexuels, qui les sexualisent à outrance, que de la communauté LGBTQI+ qui leur reproche de ne pas être assez queer, de profiter de l’espace communautaire sans en faire vraiment partie.

Ni hétéro, ni homosexuel.elle., mais les deux... Comment  définir la bisexualité sans tomber dans les préjugés d'homosexualité refoulée ?

En 1975, l’anthropologue Margaret Mead écrit : « le temps est venu, je crois, où nous devons reconnaître la bisexualité comme une forme normale de comportement humain ». Mais l'idée reçue selon laquelle la bisexualité serait une homosexualité non assumée ou refoulée est tenace. Or, une personne bisexuelle est réellement et authentiquement attirée par plus d'un sexe. Il n'y a rien à refouler ! Il faut aussi souligner que l'expérience bisexuelle est diverse. Il n'y a pas qu’une seule façon d'être bi. Certains peuvent avoir une attirance équivalente pour les deux sexes, tandis que d'autres peuvent avoir une préférence pour un sexe, tout en étant attiré par l’autre.

Comment la bisexualité peut-elle s’inscrire dans une démarche d’acceptation de soi et de libération sexuelle ?

S’affirmer comme bi, c’est d’abord accepter que son désir soit fluide, nuancé, changeant, et ne rentre pas dans les cases de l’hétérosexualité ou de l’homosexualité. L’acceptation de soi pour un.e bisexuel.elle implique souvent de résister à l’injonction de choisir un camp. La bisexualité est une démarche de libération sexuelle. Il s’agit d’élargir les possibles et de briser les tabous. Woody Allen ne disait-il pas « la bisexualité double vos chances de rencontrer quelqu’un le samedi soir » ? C’est tout l’esprit de la collection “Osez” dans laquelle mon livre est sorti. Et c’est pour cela que ce guide est avant tout pratique. J’y donne des conseils pour pratiquer une fellation ou un cunnilingus à des personnes qui ne l’ont jamais fait. Pour résumer, je dirai que la bisexualité est une manière d’exister librement dans un monde qui aime les cases.

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui se questionne sur sa propre orientation sexuelle et qui pourrait se reconnaître dans la bisexualité ?

Je lui dirais “ne te précipite pas pour te coller une étiquette !” Se définir comme bisexuel.elle n’est pas une obligation. Explorer sa sexualité, écouter son corps et son désir, ne se mettre aucune pression… Il n’y a pas besoin de se justifier. Il faut essayer de faire la différence entre ce que tu ressens vraiment et ce que l’on penses devoir ressentir à cause de la société, de la famille, de l’école.... Beaucoup de gens pensent qu’on ne peut pas savoir si l’on est gay, hétéro ou bi si l’on n’a pas vécu d’expériences concrètes. C’est faux. Notre ressenti est valide même s’il n’a jamais été vécu en pratique. On n’est pas obligé non plus d’en parler autour de toi, même à son entourage proche. Enfin, il faut avoir en tête que dans la sexualité, on n’a rien à prouver !

Comment la littérature ou la communication peuvent-elles contribuer à une meilleure compréhension et à une meilleure acceptation de la bisexualité dans la société ?

La littérature est évidemment le meilleur outil pour ouvrir son esprit et déconstruire les stéréotypes. On peut mentionner les classiques comme Le Banquet de Platon ou La fille aux yeux d’or de Balzac. Plus proche de nous, certains ouvrages, érotiques ou non, proposent de nombreux exemples de personnages qui représentent la bisexualité de manière complexe et non caricaturale. J’aime particulièrement Natural Woman de Matsuura Rieko ou Odile l’été d’Emma Becker. Cette dernière pose d’ailleurs une très bonne question, dans une interview : faut-il réellement choisir entre les bites et les chattes ?. Du côté des hommes, je mentionnerai Confession d’un masque de Mishima, même si le narrateur est davantage considéré comme homosexuel. Dans la littérature, la bisexualité masculine est beaucoup moins abordée que celle des femmes. Du côté des séries télé, je citerai The Bisexual de Desiree Akhavan qui montre une femme bi confrontée à ses contradictions. Une série pas trop cliché pour une fois… La communication mainstream autour de la bisexualité est assez rare, il faut l’avouer, mais certains médias indépendants issus des collectifs LGBTQI+ organisent parfois des campagnes de sensibilisation contre la biphobie notamment. Le plus important est de montrer des visages et des expériences personnelles pour expliquer les vécus bisexuels.

Infos pratiques : Osez la bisexualité, de Pierre Des Esseintes. Ed. La Musardine. 160 pages. 8,50€. A retrouver sur lamusardine.com

Propos recueillis par Julien Claudé-Pénégry

Prince à la Géode

Son symbole faisait s'entremêler le féminin et le masculin. Jusqu’au 30 septembre, Prince nous fait replonger dans son univers avec la projection de son film-concert Sign O’ the Times à la Géode à Paris. Chez Zézette on a vu et on recommande vivement ! Plus d’infos sur pathe.fr

Mais pourquoi donc Zézette ?

Tout simplement (attention scoop…) parce qu’en 2025, il n’existe toujours pas de média consacré à la sexualité, et ce bien qu’il s’agisse de l’un des rares sujets au monde qui nous concerne tous. On trouve pourtant des journaux sur à peu près tout. Les camping-caristes ont ainsi leur magazine, Camping-car Magazine, depuis 1978, et les mostrophilistes (c’est comme cela que se font appeler les collectionneurs de montres) peuvent feuilleter Montres magazine depuis près de 30 ans.

Même si le sujet s’est fait une place dans les médias ces dernières années et que des voix de plus en en plus nombreuses se font entendre, la sexualité reste désespérément vierge de toute publication (en dehors des seules revues médicales qui lui sont consacrées...).

Puisque, dixit Oscar Wilde, « tout dans le monde est une question de sexe, sauf le sexe qui est une question de pouvoir », l'enjeu est de parvenir à parler sexualité sans honte comme de n’importe quel autre sujet. Car il s’agit bien d’explorer toutes ses facettes, notamment pour décortiquer les rapports de domination entre hommes et femmes.

C'est la raison d'être de Zézette, 1er média indépendant 100 % dédié à la sexualité avec pour but d’en faire un sujet de conversation que l’on ne se sent plus gêné d’aborder. Le principe : une newsletter envoyée au moins deux dimanches par mois, et plus si affinités…

Pour suivre Zézette sur Instagram, c’est ici

Zézette, le 1er média 100% dédié à la sexualité

Par Zézette le 1er média 100 % dédié à la sexualité et à l'amour

Les derniers articles publiés