A l'heure où une épidémie de solitude sévit à travers le monde et a fait l’objet cette année d’un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, Zézette s'est attaché à comprendre l'attachement, c'est-à-dire ce mécanisme inné qui nous pousse à nous lier les uns aux autres.
Mise au jour par le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby, la théorie de l’attachement a montré à quel point le besoin de l’enfant d’être sécurisé était vital et dans quelle mesure sa satisfaction ou non conditionnait ses relations futures et sa capacité à explorer son environnement. Ce qu’explique à Zézette Federica Scagnetti, psychopraticienne et praticienne EMDR certifiée.
Qu'est-ce qu'on appelle attachement ?
L'attachement est un besoin social primaire lié au besoin inné d'être rassuré afin de pouvoir s'engager dans l'exploration de son environnement. Il s’active tout le long de notre vie quand nous vivons un sentiment de danger ou de peur. Et que cette peur soit réaliste n'a pas d'importance pour notre cerveau. Le besoin d'être compris rentre aussi dans ce besoin essentiel d'être rassuré, car comment se sentir rassuré si l'on ne se sent pas compris ? Ce besoin d’attachement a été théorisé par le psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby. Après avoir étudié la séparation et les deuils chez les enfants, il s’est vu confier une étude sur les orphelins ayant perdu leurs parents suite aux bombardements sur Londres pendant la Seconde Guerre mondiale et qui s’étaient retrouvés placés. Il va observer chez certains des comportements de retrait émotionnel et social ne correspondant pas à leur âge, ce qui va l’amener à approfondir ses études sur l’attachement, c’est-à-dire les relations qui se tissent entre les enfants et leurs donneurs de soin, caregiver selon l’expression de Bowlby. Ces relations dépendent en grande partie de la manière dont les donneurs de soin vont être capables d’offrir une bulle de sécurité à l’enfant.
Quelles conclusions va-t-il tirer de ses observations ?
Il va en conclure que l’attachement est un besoin fondamental de l’être humain, au même titre que boire ou manger, et qu’il est donc essentiel à notre survie. Cela s’explique notamment par le fait que lorsque l’on naît nous demeurons vulnérables sur une très longue période contrairement aux autres mammifères. Raison pour laquelle Darwin considère que l’empathie est le socle de l’humanité. C’est ce mécanisme qui incite les parents à donner intuitivement de leur temps et de leur énergie pour aider leurs enfants à grandir, sans quoi notre espèce se serait éteinte. Ce que démontrent les observations du psychiatre hongrois René Spitz, contemporain de Bowlby, qui a pu constater que certains enfants vont jusqu’à se laisser mourir lorsqu’ils ne reçoivent pas d’attention.
Le social est donc vital…
Selon Darwin, l’être humain est un être grégaire, sans quoi il n’aurait pas pu survivre dans la jungle. La coopération est l’un des fondements de nos sociétés. Nous sommes l’espèce qui excelle dans tous les processus liés à l’empathie et à l’altruisme, à savoir cette capacité à se mettre à la place de l’autre, à comprendre son besoin et à y répondre. Ce qu’a très bien décrit le primatologue et éthologue néerlandais Frans de Waal dans son livre L’âge de l’empathie. Leçons de la nature pour une société solidaire.
A propos des primates, l’expérience menée par le professeur de psychologie américain Harry Harlow dans les années 1950-1960 nous éclaire elle-aussi sur notre besoin d’attachement. En quoi consiste-t-elle ?
Il faut tout d’abord préciser qu’il s’agit d’une expérience qui a été très critiquée pour sa cruauté. Harlow a souhaité vérifier si le lien du bébé macaque avec sa mère était déterminé par son besoin de se nourrir ou bien s’il était d’une autre nature. Des bébés macaques ont été privés de toute forme d’affection pour être soumis à des expériences en étant exposés à deux formes de reproduction de leur mère : l’une en fourrure et l’autre en fil de fer munie d’un biberon. L’objectif poursuivi était de savoir si les bébés allaient privilégier la nourriture à la sécurité affective. Résultat : ils vont d’abord se blottir contre la maman fourrure et ce n’est qu’une fois qu’ils sont tiraillés par la faim qu’il vont aller vers la maman biberon. Parmi les autres expériences de Harry Harlow, il en est une où le bébé macaque est placé seul dans une pièce avec des jouets. On le découvre terrorisé, dans l’incapacité de bouger. Or, s’il n’explore pas son environnement, le bébé macaque risque de mourir. A l’inverse, lorsque l’on intègre la même maman fourrure que dans l’expérience précédente, on s’aperçoit que le jeune singe commence par se blottir contre elle puis part ensuite explorer la pièce et jouer. Conclusion : si je ne suis pas rassuré.e, je ne peux pas explorer mon environnement.
Les premiers mois de la vie d’un nouveau-né sont donc déterminants…
Oui. L’environnement agit sur notre manière de nous percevoir et de se représenter le monde. Les études en neurosciences montrent que notre cerveau se développe par étapes et que si une situation d’adversité ou un trauma intervient tôt, le cerveau risque d’être davantage impacté. Plus tôt le bébé reçoit des soins adaptés, plus son système de réaction face au stress pourra s’apaiser comme le démontre les études relatées dans l’ouvrage Les 1 000 premiers jours de votre enfant, coordonné par la psychothérapeute française Joanna Smith. Mais la bonne nouvelle, c’est que notre cerveau n’est jamais figé et que l’on peut entamer un travail à n’importe quel moment de la vie.
Comment fonctionne l’attachement ?
John Bowlby parlait de “modèle interne opérant” pour décrire l’ensemble des réactions neurobiologiques qui déterminent à a fois la perception que l’enfant a de lui-même et ses attentes vis-à-vis de la figure d’attachement. Dans les années 1970, une de ses collaboratrices, la psychologue du développement Mary Ainsworth, a mis en place un paradigme expérimental, baptisé « La situation étrange », pour étudier les différents modèles d’attachement. Ce protocole consiste à mettre en contact un enfant âgé entre un an et 18 mois avec une personne qu’il ne connaît pas en compagnie de son donneur de soin, le plus souvent sa maman. Le but est d’observer les interactions de l’enfant lorsqu’il se trouve avec le donneur de soin et la personne étrangère ou bien seul avec cette dernière. Ces observations ont été menées sur tous les continents et ont permis d’identifier trois modes d’attachement parmi lesquels l’attachement sécure. Ici, l’enfant interagit de façon spontanée avec la personne qu’il ne connaît pas en présence de la maman. Quand elle part, il se met à pleurer mais ça ne dure pas longtemps. Très vite, il se remet à explorer et à interagir avec l’autre personne adulte. Puis, lorsque sa mère revient, il manifeste de la joie. Les interactions se font de manière plutôt paisible. Avec l’attachement évitant en revanche, l’enfant se montre peu enclin aux interactions. Quand sa mère part, il la regarde à peine. Idem lorsqu’elle revient. Il entretient une distance émotionnelle avec les autres et tient les émotions négatives à l’écart. Souvent, ce sont des enfants dont les parents disent qu’ils ne posent aucun problème, ou bien qu’ils peuvent être mis n’importe où et qu’on ne les entendra pas. Or un enfant n’a pas vocation à n’être que calme, l’interaction étant à la base de notre survie. Avec l’attachement dit résistant/ambivalent, l’enfant reste auprès de sa mère et cherche son approbation. Lorsqu’elle part, il pleure et a beaucoup de mal à se calmer. Et lorsqu’elle revient, au lieu de montrer de la joie, il va aller vers elle pour se rassurer tout en continuant de sangloter. Il s’agit d’enfants qui ne sont jamais consolés parce que jamais satisfaits. Mais quel que soit le mode d’attachement, ce n’est jamais un choix délibéré de l’enfant. Par ailleurs, il est important d’avoir en tête qu’il n’y a aucun parent parfait et aucun enfant parfait. La perfection n’existe tout simplement pas.
La psychologue américaine Mary Main va identifier un quatrième mode d’attachement dans les années 80. Quel est-il ?
Il s’agit de l’attachement désorganisé dans lequel l’enfant réagit de manière inconstante et incohérente. C’est un attachement qui découle souvent de situations de maltraitance ou de négligence. Ce qui permet de rappeler que la négligence émotionnelle fait beaucoup plus de dégâts que ce que l’on peut imaginer. Toutefois, l’attachement désorganisé peut apparaître chez des enfants de parents non maltraitants. Le psychiatre italien Giovanni Liotti a montré qu’en étant submergé par la peur, le parent risque de devenir une figure d’attachement effrayée donc effrayante, ce qui peut suffire à désorganiser le système d’attachement de l’enfant. Il faut savoir que lorsque nous avons peur, notre système de défense est activé, ce qui réveille le système d’attachement. Si la personne qui est censée me consoler est aussi celle qui cause ma peur, je me trouve alors dans une situation sans solution qui me crée une douleur insurmontable, cause de désorganisation.
Existe-t-il un mode d’attachement qui se révèle plus fréquent ?
Le mode d’attachement considéré comme majoritaire dans la population standard est l’attachement sécure, autour de 60 %. En fonction des études, l’attachement évitant est d’environ 20 %, l’attachement résistant/ambivalent d’environ 15 % et l’attachement désorganisé compris entre 5 % et 15 %.
Quelle est la part d'inné et de socialement construit ?
Le besoin d’attachement est de l’ordre de l’inné. Il est biologiquement inscrit. Mais sa construction est lié à l’environnement. Le professeur de psychiatrie à l’université de Los Angeles UCLA Daniel Siegel considère que la part d’inné dans le tempérament, qui est la manière spontanée de réagir face à l’environnement, serait équivalente à peu près à 2 %. La façon dont la figure d’attachement va réagir au tempérament de son bébé va donc déterminer son mode d’attachement. Par exemple, si un enfant au tempérament très sensible grandit dans un environnement qui accompagne cette sensibilité, il va pouvoir se sentir en sécurité. Ce qui ne sera pas le cas si ses parents le considèrent « trop » sensible. Là, il va développer un modèle d’attachement insécure.
Observe-t-on des types d'attachement dominants différents entre hommes et femmes ?
S’il y a une différence, elle n’est en aucun cas liée au genre mais plutôt à la manière dont on se comporte avec les filles et les garçons.
Peut-on agir sur son mode d’attachement ?
En psychothérapie, on travaille toujours avec l'attachement. D’ailleurs, certaines personnes craignent de devenir dépendantes de leur thérapeute. Ce qui dit quelque chose de leur mode d’attachement. Être en relation ne veut pas dire s’oublier. La dépendance devient problématique à partir du moment où l’on ne vit qu’à travers elle.
Existe-t-il d’autres modes d’action en dehors de la psychothérapie ?
Chaque fois que je me mets à l’écoute de mon enfant intérieur, chaque fois que je lui dis qu’il est digne d’amour, j’agis sur la représentation que j’ai de moi-même, et donc sur mon mode d’attachement. Cela peut se travailler notamment avec des techniques d’autocompassion comme celles proposées par la professeure agrégée de développement humain et de culture à l'Université du Texas, Kristin Neff, le but étant d’offrir à mon enfant intérieur de la sécurité affective.
Rien à voir ici avec ce que l’on pourrait qualifier d’ami imaginaire…
Nous avons tous un enfant intérieur qui a besoin de réconfort car on traverse toujours des moments de souffrance dans la vie. Quel que soit le type d’attachement, personne n’est à l’abri. Comment vais-je accueillir ces peurs ? Avec rejet ? Avec tendresse ? Tout ceci doit être source de réflexion et non d’enfermement. Il convient absolument de rappeler que notre cerveau étant flexible, tout peut se travailler.
Individuellement, présente-t-on toujours un seul mode d’attachement ?
Non. Nous pouvons développer différents modes d’attachement selon la figure d’attachement qui nous accompagne. Nous pouvons avoir eu un attachement insécure anxieux étant enfant par exemple et développer un attachement sécure avec un partenaire ou des amis.
Infos pratiques : Amour et rupture : les destins des liens affectifs. Conférences de John Bowlby. Ed. Albin Michel. 272 pages. 23,90 € / Le grand livre des 1000 premiers jours de vie. Ed. Dunod. 361 pages. 42 € / L'âge de l'empathie. Leçons de la Nature pour une société solidaire. Frans de Waal. Ed Babel. 389 pages. 22,90 €
Propos recueillis par Renaud CHARLES
« La faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale est l’empathie » dixit l'homme le plus riche du monde, alias Elon Musk. Pourtant, à 6 000 km à vol de navette SpaceX de chez lui, au Danemark, les enfants suivent dès 6 ans des cours d’empathie et de bienveillance depuis 1993, ce qui a permis de diviser par trois les cas de harcèlement dans le pays. Un reportage à écouter sur France Culture
Tout simplement (attention scoop…) parce qu’en 2025, il n’existe toujours pas de média consacré à la sexualité et à l’amour, et ce bien qu’ils fassent partie des rares sujets qui nous concerne tous à travers le monde. On trouve pourtant des journaux sur à peu près tout. Les camping-caristes ont ainsi leur magazine, Camping-car Magazine, depuis 1978, et les mostrophilistes (c’est comme cela que se font appeler les collectionneurs de montres) peuvent feuilleter Montres magazine depuis près de 30 ans.
Si la sexualité s’est fait une place dans les médias ces dernières années et que des voix de plus en en plus nombreuses se font entendre, la sexualité reste désespérément vierge de toute publication (en dehors des seules revues médicales qui lui sont consacrées...).
Puisque, dixit Oscar Wilde, « tout dans le monde est une question de sexe, sauf le sexe qui est une question de pouvoir », l'enjeu est de parvenir à parler sexualité sans honte comme de n’importe quel autre sujet. Car il s’agit bien d’explorer toutes ses facettes, notamment pour décortiquer les rapports de domination entre hommes et femmes.
Quant à l’amour, s’il fait les beaux jours de la littérature ou du cinéma, il a encore du mal à être pris au sérieux, ce dont témoigne la neuroscientifique Stéphanie Cacioppo dans son livre Le pouvoir de l’amour qui a dû braver le scepticisme lorsqu’elle a entamé ses recherches sur le sujet.
Telles sont les raisons d'être de Zézette, premier média indépendant 100 % dédié à la sexualité et à l’amour avec pour but d’en faire des sujets de conversation que l’on ne se sent plus gêné d’aborder par crainte de la honte ou d’une supposée mièvrerie. Le principe : une newsletter envoyée au moins deux dimanches par mois, et plus si affinités…
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