Parce que l'érotisme ne se limite pas à la collection "romance sexy" des éditions Harlequin, Zézette vous invite à en explorer les nouvelles voies...
Transposer le désir érotique dans chaque instant de la vie quotidienne pour créer, s’émerveiller, se venir en aide. Telle est la philosophie du Manifeste pour un érotisme existentiel co-écrit par Barbara Polla et Véronique Caye. Intrigué.e, Zézette a voulu en savoir plus.
Comment résumer ce qu'est l'érotisme existentiel à quelqu'un qui n'a pas lu votre essai et pour qui l'érotisme est avant tout synonyme d'excitation sexuelle ?
Barbara Polla : L’érotisme dans le Manifeste fait référence à Eros qui, dans la mythologie grecque, représente la divinité de l'Amour et de la puissance créatrice. L’érotisme existentiel c’est donc le désir de vivre, d’aimer, de créer. C’est l’amour du monde. Il suppose une discipline qui consiste constamment, même dans les situations les plus difficiles, à chercher de la beauté, à chercher à aimer. Récemment j’ai vu une image prise à Gaza d’une très grande table nappée de rouge, dressée dans les décombres pour le Ramadan. Cela m’a fait penser que oui, même dans les situations les pires, la recherche de la beauté, du partage, nous est essentielle pour continuer.
C’est donc une façon d’être au monde… ?
Absolument ! Et comme toute façon d’être au monde, cela suppose une discipline.
Pour autant vous ne promettez pas le bonheur en récompense ?
Le bonheur, je le vois comme un cadeau. On ne peut pas le travailler. Ce n’est pas comme la joie qui est quelque chose de très sérieux. D’ailleurs, notre Manifeste avec Véronique Caye refuse de s’inscrire dans le mouvement du « well-being ». L’érotisme existentiel est une philosophie, une volonté esthétique, une manière de vivre. Il est poésie. Il s’agit de constamment “poétiser le réel”.
C’est quoi poétiser le réel ?
C’est introduire son imaginaire dans le réel. Car il ne faut pas le nier, le réel est très souvent terrible. Poétiser le réel, c’est porter un regard sur le réel qui permet d’en extraire la beauté. Il faut être conscient que la seule chose sur laquelle on peut agir ce n’est pas le réel, ou alors à une échelle infime. En revanche, nous avons le pouvoir de changer notre regard sur lui.
Qu'est-ce que l'on appelle énergie sexuelle et comment la transpose-t-on dans sa vie au quotidien ?
L’énergie sexuelle est bien plus que sexuelle. C’est l’énergie vitale. Il s’agit donc de l’utiliser comme source d’énergie pour de multiples actions : le sexe certes, mais aussi l’amour, l’entraide, l’émerveillement… On ne peut pas faire du sexe toute la sainte journée mais on peut transposer notre énergie vitale en créativité, en attention à l’autre, en travail, en mouvement, en inventivité.
Vous appelez à sortir de la rumination et des ressentiments pour être dans la joie, que vous distinguez donc du bonheur. Quelle différence faites-vous entre joie et bonheur ?
Le bonheur est un fluide éphémère. Il nous surprend, les conditions en sont élusives, il ne peut pas être un objectif. On ne le construit pas, on le reçoit. Le bonheur est un idéal dévoyé par les marchands de bonheur qui en ont fait un produit. La joie quant à elle dépend de notre volonté. Pour Spinoza, elle est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. Il ne s’agit pas de défendre l’idée que la perfection existe mais plutôt que l’on peut s’améliorer si l’on ne court pas après la reconnaissance et si l’on n’est pas dans une quête constante de paraître. J’ai été élue politique pendant 12 ans, dont 4 ans députée nationale. C’est extraordinaire l’importance qu’on acquiert. Mais quand vous arrêtez la politique, cette importance disparaît immédiatement. Et si on n’est pas préparé.e, cela peut se révéler très douloureux. Je pensais qu’on s’intéressait à moi, à mes idées. Mais non ! On s’intéressait à ma situation, à mon habit. Se retirer de cette course à la reconnaissance, c’est prendre du temps pour penser.
Est-ce qu’on peut dire que l’érotisme existentiel est un pari sur le bonheur ?
Plutôt que parier sur le bonheur, je conseillerais plutôt d’essayer, de tenter, d’ébaucher sans trop d’attentes, car les attentes sont limitantes.
Que retirez-vous de votre expérience de médecin ?
Quand j’étais encore jeune interne, j’ai eu un patient japonais de 29 ans atteint d’un cancer. J’étais complètement désemparée. Je ne savais pas comment lui parler. J’ai fait appel au prêtre de l’hôpital et quand je suis revenue, il était serein. C’est là que je me suis rendu compte que l’on pouvait accompagner quelqu’un et lui faire du bien même au seuil de la mort. Je me souviens également d’une autre patiente vers la même époque. C’était une dame très âgée, très belle. Moi, je faisais tout ce que je pouvais pour la soigner, pour la sauver. À un moment donné, elle m’a dit avec un très joli sourire : “Vous savez, tout va bien”. Comme pour me rassurer : elle allait mourir, certes, mais « tout va bien ». Les rôles s’étaient inversés, c’est elle qui s’occupait de moi. Elle était dans l’amour du monde, un monde que pourtant elle allait quitter.
Votre manifeste fait l’éloge du mouvement. Quel est votre rapport au virtuel et aux écrans ?
Beaucoup d’activités virtuelles, notamment à travers les réseaux sociaux, consistent à donner une certaine image de soi qui soit conforme aux diktats. Or la mise en scène de soi ne peut jamais être satisfaisante. Il s’agit qui plus est d’une quête dans laquelle on dépense beaucoup d’énergie. C’est pour ça que le “va vers toi-même” est essentiel.
Il y a un conflit entre vouloir plaire aux autres et se donner la chance d’être soi…
J’ai écrit un livre, Tout à fait homme, pour lequel j’ai interrogé de nombreux hommes. L’une des questions était “Qu’attendez-vous de votre partenaire ?”. La plus belle réponse m’a été donnée par un tailleur de pierre qui m’a dit ceci : “J’attends de ma partenaire qu’elle augmente mon degré de liberté”. C’est la plus belle réponse que l’on m’ait faite. On est en plein dans le va vers toi-même. On voit toujours le couple par le prisme des restrictions de liberté. C’est d’ailleurs pour cela que je préfère à “je t’aime” l’expression de la linguiste et philosophe Luce Irigaray “j’aime à toi”. Dans “je t’aime” il y a une forme d’appropriation alors qu’avec “j’aime à toi” on dit à l’autre “je te donne de l’amour, je suis heureuse que tu existes, je ne cherche pas à te posséder”. C’est en adoptant cette posture qu’on peut concevoir d’aider l’autre à augmenter son degré de liberté. À ce moment-là le couple a un sens. Il y a cette phrase, je ne sais pas de qui elle est, que je trouve très juste : “la mort ne vous enlèvera que ce que vous avez voulu posséder”. Quand on parle de liberté dans les couples on évoque toujours le polyamour ou le libertinage mais pour moi ce n’est pas ça. Augmenter le degré de liberté de l’autre ce n’est pas seulement l’autoriser à aller voir ailleurs. La liberté va bien au-delà de ça. C’est notamment la liberté d’entreprendre ce qu’on veut dans la vie.
Que pensez-vous de la phrase d’Alain : "Le pessimisme est d'humeur, l'optimisme de volonté" ?
Le pessimisme et l’optimisme sont des prédictions pour moi. Je considère l’optimisme comme une formidable paresse. C’est se dire “tout va aller bien”. Alors que non, tout ne va pas aller bien. Mais on peut entreprendre des choses pour que ça aille un peu mieux. La première chose à faire c’est prendre acte du réel. Et dans certains cas, il n’y a pas d’autre constat possible que le désespoir. Mais une fois qu’on a pris acte du désespoir, on peut se demander quoi faire ? Par exemple je ne peux pas faire la paix dans le monde et je ne peux pas non plus me dire qu’en étant optimiste il y aura la paix demain. Alors je vais faire un truc minuscule : une exposition sur la paix pour déjà réfléchir à la paix, avec d’autres personnes que cette réflexion intéresse, et même si nous ne sommes pas nombreux. C’est ce que j’ai fait. On appelle ça le principe des utopies agissantes. L’utopie c’est vouloir la paix dans le monde. Seule, je ne peux pas faire ça. Mais je peux toujours rêver, garder à l’esprit l’ambition de l’utopie majeure et la rapetisser jusqu’à la rendre minuscule et donc réalisable. Là, je me lance dans une thèse sur la paix. Est-ce que ça va apporter la paix dans le monde ? Non. Mais je vais pouvoir en parler, partager mes idées et mes questionnements. Tel le colibri, je fais ma part.
Vous dites de ce Manifeste qu’il n’est surtout pas une méthode mais vous proposez tout de même une boîte à outils. Quels sont les principaux ?
Le premier des outils c’est le mouvement. Quand rien ne va, il faut bouger. L’autre aspect important c’est l’esquive. Quand vous essayez mais que vous vous confrontez à un mur, à un moment il faut savoir esquiver. Esquiver n’est pas une attitude lâche. C’est juste intelligent. C’est accepter son degré d’impuissance. C’est aussi faire preuve de puissance et ne pas se vivre comme victime.
A lire : Manifeste pour un érotisme existentiel. Poétiser le réel. De Barbara Polla et Véronique Caye. Ed. BSN Press. 66 p. 13,65€.
Propos recueillis par Carmen Island
Moins normatifs et... beaucoup plus jouissifs ? Les nouveaux magazines de charme éveillent de nouvelles formes de désir, loin des réseaux sociaux mais aussi du regard patriarcal du Playboy d'antan. Distribuer des images érotiques sur papier, c’est aller à contre-courant dans une époque où les images pornographiques sont accessibles en un clic et où les tétons des femmes - même peints - sont bannis des réseaux sociaux. Ces nouvelles publications se tournent vers le papier comme une réponse aux interdits puritains mais aussi à la pornographie de masse. Avec Tracks, partez à la rencontre de celles et ceux qui réveillent les publications coquines.
Tout simplement (attention scoop…) parce qu’en 2025, il n’existe toujours pas de média consacré à la sexualité, et ce bien qu’il s’agisse de l’un des rares sujets au monde qui nous concerne tous. On trouve pourtant des journaux sur à peu près tout. Les camping-caristes ont ainsi leur magazine, Camping-car Magazine, depuis 1978, et les mostrophilistes (c’est comme cela que se font appeler les collectionneurs de montres) peuvent feuilleter Montres magazine depuis près de 30 ans.
Même si le sujet s’est fait une place dans les médias ces dernières années et que des voix de plus en en plus nombreuses se font entendre, la sexualité reste désespérément vierge de toute publication (en dehors des seules revues médicales qui lui sont consacrées...).
Puisque, dixit Oscar Wilde, « tout dans le monde est une question de sexe, sauf le sexe qui est une question de pouvoir », l'enjeu est de parvenir à parler sexualité sans honte comme de n’importe quel autre sujet. Car il s’agit bien d’explorer toutes ses facettes, notamment pour décortiquer les rapports de domination entre hommes et femmes.
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