Comment parler sexualité à Noël sans passer pour un.e pervers.e ?
En passant en revue les tabous dans son livre "Sexe et tabous", le philosophe et maître de conférences à Nantes Université Guillaume Durand a pu observer que quasiment tous étaient liés à la sexualité. Dès lors, comment parvient-on à en faire un sujet qu'on ose aborder sans honte à la table de Noël ? Guillaume Durand répond sans tabou à Zézette.
Qu'est-ce au juste qu'un tabou ?
Guillaume Durand : C'est avant tout ce dont on n'ose pas parler ; ce qui, dans une conversation, va nous faire ressentir de la gêne, de la honte, et qui peut aussi paralyser notre pensée : « C’est mal », voilà tout. Ce phénomène, le psychologue américain Jonathan Haidt le qualifie de « stupéfaction morale ». Le tabou est donc ce qui m'apparaît immédiatement comme un mal, indépendamment de tout jugement rationnel. C'est quelque chose qui, spontanément, me procure une forte émotion. En passant en revue les tabous, je me suis rendu compte qu’ils étaient quasiment tous liés à la sexualité. Encore faut-il se demander pourquoi…
Et pourquoi ?
Cela découle de l’Histoire. Pendant longtemps, on a condamné la sexualité lorsqu’elle n’était pas tournée vers la procréation. La destination du sperme devait être de rencontrer l'ovule. Jusqu'au XIXe siècle, la masturbation et la sodomie étaient ainsi condamnées moralement voire pénalement (les lois antisodomie sont restées en vigueur dans certains Etats des Etats-Unis jusqu’en 2003), ce qui nous paraît complètement invraisemblable aujourd'hui. Cette condamnation, on la retrouve notamment chez Kant pour qui le masturbateur suscite le dégoût et la honte et qui considère que la masturbation revient à se dépouiller de tout respect envers soi-même. On dit de Kant qu’il n’avait pas de sexualité du tout. Sa philosophie condamnait toute relation sexuelle hors mariage.
Il a donc tiré de son vécu une morale…
En quelque sorte. Kant est un rigoriste dans toute sa splendeur. Selon lui, il existe des règles fondamentales inconditionnelles qu’il convient de respecter en toutes circonstances. Pourtant, la masturbation est un désir qui apparaît assez rapidement dans notre développement, qui participe de notre bien-être. On qualifie souvent de tabous les actes que l’on considère contre-nature. Le problème de cet argument est que lorsque l’on s’intéresse à ce qui se passe dans la nature, on observe que les primates et de nombreux autres animaux non-humains se masturbent, pratiquent l’homosexualité… Certains ont même des relations sexuelles avec des individus d’une autre espèce ! La nature n’est donc pas un argument suffisant pour fonder les tabous sexuels.
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